Secteur informel en HAITI

LES MARCHÉS INFORMELS EN HAITI : ROYAUME D’UNE ECONOMIE DE SUBSISTANCE

Lorsqu’un État n’est plus en mesure de subvenir aux besoins de sa population, le chômage et la misѐre s’installent de plein pied. En Haïti, les classes défavorisées ont du mal à satisfaire leurs besoins, car l’économie haïtienne telle qu’elle est conçue et structurée ne favorise aucune mouvance dans l’échelle sociale. Cet état de fait crée des frustrations et un marasme économique qui sont encore visibles dans la société contemporaine.




Plus de deux cents (200) ans après la proclamation de notre Indépendance, les instabilités politiques et économiques qui ont jalonnées l’histoire d’Haïti l’ont transformé en un pays qui ne peut se passer de l’assistanat international. Etant des marionnettes, les dirigeants d’ici sont les fidѐles exécuteurs des grandes pointures internationales qui n’ont pas obligatoirement le sort des haïtiens dans leur ligne de mire. Etant seul et délaissé, et ayant des besoins à satisfaire, le peuple haïtien figure parmi ceux les plus pauvres du monde et/ou le plus appauvri.

Mais, à l’instar d’autres pays comme le Pérou dont les rues se transforment en siѐge d’activités variées, Haïti a développé la petite économie marchande dite informelle pour faire face aux aléas de la vie quotidienne. Celle-ci englobe un ensemble d’activités (d’achat ou de vente de produits) qui se font à l’insu ou en dehors du contrôle des autorités c’est-à-dire qui échappent à la législation fiscale et à la comptabilité fiscale. Des marchands de tout acabit, des petits démêlés de tout genre s’offrent à l’œil et aux besoins de tout passant. Un coin de rue, un trottoir, un carrefour, un pont, un terrain vague, en dehors des réseaux de marchés traditionnels, sont le théâtre de ces activités et font d’Haïti en générale et de Port -au- Prince en particulier, la capitale des marchés informels.
La prolifération de ces marchés devient de plus en plus problématique et suscite l’intérêt de la Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH). En effet, leurs modes de fonctionnement, leurs apports dans l’économie nationale et les interventions musclées des Mairies de la région de la Capitale haïtienne ces derniers jours pour pallier au désordre qui y règne sont les points que nous nous proposons de toucher tout au long du développement de ce texte.

DU FONCTIONNEMENT DES MARCHÉS EN HAITI
 En Haïti, les marchés se caractérisent par leur informalité. Ainsi, ceux qui les occupent se sentent menacés par des dangers d’origine diverses : la répétitivité des incendies souvent d’origine malveillants, les voleurs qui généralement y établissent leur quartier, les Agents des mairies qui les brutalisent et qui fort souvent endommagent ou procѐdent à des saisies arbitraires de leurs marchandises...
Etre marchand ou commerçant en Haïti s’improvise. Pour contrecarrer le chômage, la faim, l’exode rurale et pour faire face à la chute libre de la production agricole en Haïti, lancer son petit commerce est le premier alternatif qui s’offre à la population haïtienne.
Dans la majorité des cas, ce ne sont pas des entrepreneurs qui ont l’esprit d’entreprise. D’ailleurs la majorité d’entre eux, n’ont aucune formation professionnelle ou universitaire et sont en possession d’un capital fort insignifiant et trѐs souvent mal investit ce qui contribue à affaiblir d’avantage la balance économique nationale (puisqu’ils se rabattent sur l’importation de produits étrangers afin de renflouer leurs petits commerces).
Malheureusement, il leur est difficile d’augmenter leurs capitaux parce que les institutions financiѐres et bancaires de la place refusent en général, de leur emprunter de l’argent à un taux préférentiel. Et lorsqu’elles en accordent, les taux sont trop élevés et se font suivant des exigences draconiennes (et quelque peu farfelues !). Tout ceci tue dans l’œuf l’espoir de voir fructifier ces commerces informels.
Un autre facteur critique qui ronge ce secteur et qui ralentit son épanouissement, c’est la mauvaise installation des marchandises. Déposées à même le sol, visitées par des légions de mouches et amassant un tas de poussiѐre, le client ou le consommateur haïtien n’a aucune garantie quant à la qualité des produits qu’il achѐte.
Ainsi, il n’a qu’à se fier à son instinct ou à l’apparence de ce dernier ! Aucun Officier Sanitaire ne vérifie la qualité de ces marchandises comme il en était coutume autrefois. C’est une habitude qui a disparu et que l’on paie chѐrement parce qu’étant le bastion d’un désordre généralisé, cette absence de vérification devient parfois mortelle. Donc, les consommateurs et surtout les commerçants subissent les méfaits d’un tel désordre. Parce qu’ils avoisinent ou sont installés à proximité de détritus alimentés par une boue puante et recouverte de mouches, ces marchands attrapent, eux aussi, des maladies dues à l’insalubrité qui rѐgne dans l’enceinte des marchés.
A bien y réfléchir, à côté des observations de Maurepas (qui prouvent que l’état haïtien et ses institutions prennent parfois des décisions attentatoires aux intérêts des citoyens), l’on comprendra aussi que le manque d’espace adapté pour ce genre d’activité contribue à l’augmentation désordonnée des marchés informels ou de rue.
Et pourtant le fonctionnement des marchés est assuré par les mairies de la zone qu’ils occupent selon le décret de février 2006 qui en ses articles 96, 97, 98 déterminent les compétences des collectivités territoriales. Malheureusement, les agents municipaux jouent un rôle de gendarme fort douteux puisqu’ils ne remplissent pas leurs attributions dans leurs totalités. Ils visitent ces marchands/ marchandes dans le but d’empocher l’argent dû pour l’espace alloué sans se préoccuper de la salubrité des lieux ou de la qualité des marchandises exposées. Ils brutalisent les marchands de rue qui occupent les trottoirs et parfois une partie de la chaussée. Cette situation malheureuse occasionne une multitude de violations des Droits Humains, telles que : droit à la propriété privée, Droit à l’intégrité physique, Droit à un emploi décent et autres...
Loin de cautionner le fait que les trottoirs soient transformés en marché, la POHDH croit fermement que l’irresponsabilité de l’État Haïtien ne peut être écartée de la dérive que l’on constate aujourd’hui. D’ailleurs intervenant à ce sujet, Claude Maurepas affirme que les acteurs de l’informel se heurtent souvent aux forces qui soutiennent ces activités. De ce fait, l’État haïtien aurait dû attaquer le problème à la base, c’est-à-dire s’arranger pour mettre sur pied d’autres marchés qui permettraient ces occupants et occupantes de jouir d’un minimum de sécurité (tant pour les marchands que pour leurs produits). Alors que, les articles 246 et 247 de la Constitution Haïtienne de 1987 font obligation à l’Etat Haïtien : « D’encourager ...l’esprit d’entreprise en vue de promouvoir l’accumulation du capital National pour assurer la performance du développement... et d’’établir les structures nécessaires pour assurer la productivité maximale de la terre et la commercialisation interne des denrées... »
DU LAXISME DES AUTORITÉS FACE A LA PROVENANCE DES PRODUITS EXPOSÉS.
Haïti est devenu un pays exclusivement consommateur, envahi par un flot de marchandises provenant majoritairement de la République voisine. Cette situation nous livre au bon vouloir de ces pays qui parfois n’hésitent pas à importer en Haïti des produits infectes, avariés, inutilisables ou non comestibles comme ce fut le cas pour le fameux salami, tant apprécié par bon nombre d’haïtiens et haïtiennes. Dans ce produit et ses multiples dérivés ont été retrouvés des résidus de coliformes fécaux qui seraient hautement cancérigènes selon la publication d’une enquête menée par l’agence dominicaine Pro Consumir. Mais l’interdiction qui était fixée sur l’importation et sur la consommation de ce produit a été enlevée. Cela suffira t-il pour rétablir la confiance des haïtiens ?
L’indifférence du Ministѐre du Commerce et de l’Industrie par rapport aux acteurs de l’informel est flagrante. Ce Ministère étant l’instance qui a pour attribution de régulariser le secteur commercial en Haïti, apparemment n’est pas en mesure de fournir des résultats efficaces susceptibles d’améliorer le fonctionnement du secteur informel dans ce pays qui se noie dans la misère et le chômage.
Le secteur informel haïtien est un secteur qui s’est rapidement développé et qui a pratiquement éclipsé les autres secteurs économiques haïtiens (primaire et secondaire) parce qu’il offre un large éventail de services à la population haïtienne. En fait, ce secteur fonctionne comme une économie de subsistance c’est-à-dire que ses acteurs n’ont pas un chiffre d’affaire précis et qu’une journée marquée par une absence de vente risque de chambouler le quotidien de ces derniers.
Espérer une quelconque amélioration de ce secteur en Haïti, reviendrait à remettre en question, tout un ensemble de pratiques qui marginalisent ou fragilisent ce secteur. N’ayant aucune source de financement fiable ou permanente, ce secteur porte ou nourrit en son sein, les indices de son auto- fragilisation ou de son auto-destruction (c’est un secteur trop versatile et aléatoire). Car, la formation de ce secteur résulte de la faiblesse économique haïtienne et représente à juste titre le reflet d’une économie de subsistance.
RECOMMENDATIONS Une meilleure organisation des marchés informels en Haïti ne se fera pas du jour au lendemain. Mais certaines mesures peuvent être adoptées afin de coordonner et d’améliorer dans l’immédiat certains aspects des marchés informels. Pour cela, il faudrait : Ø Veiller à ce que la propreté des lieux soit prise en compte, car l’insalubrité qui y rѐgne représente le premier obstacle qui tétanise ce secteur. Certaines personnes préfѐrent fréquenter les supermarchés car la propreté des lieux s’apprêtent mieux aux achats quoique certains risques, en terme d’insécurité alimentaire, rencontrés dans les marchés traditionnels soient identiques (le client n’a aucune possibilité pour vérifier les dates d’expiration affichées sur les produits c’est-a-dire si elles sont vraies ou truquées).
Ø A ce sujet, il devient primordial que Le Ministѐre du Commerce et de l’Industrie (MCI) et celui de la Santé Publique et de la Population (MSPP) entre autres, recrutent et emploient des agents qui auront pour tâche exclusive la vérification et le contrôle des marchandises tant au niveau douanier qu’au niveau interne. Ainsi une nette amélioration serait observée tant sur le plan qualitatif que sécuritaire des produits exposés.
Ø Aménager les marchés de manière à faciliter la circulation des différents occupants et occupantes. Il faudrait aussi que l’on place à intervalles réguliers des points d’eau qui seront alimentés en permanence. Cela facilitera la tâche des pompiers en cas d’incendie.
Ø Il faudrait aussi que les autorités judiciaires prennent des mesures pénales contre les responsables de ses actes criminels. Car, plusieurs marchés ont été incendiés volontairement durant ces trois dernières années. Cependant, les enquêtes annoncées n’ont jamais été aboutis et les marchands/ marchandes n’ont reçu aucune aide comme cela avait été promis par les autorités gouvernementales. Si des peines avaient été prononcées contre ces bandits cela aurait ôté l’envie aux récidivistes et à tout autre pyromane de causer les mêmes actions.
Ø Il faudrait que les mairies ne se contentent pas de procéder au déguerpissement des marchands de rue. La POHDH n’encourage nullement ce genre de pratiques car cela met en péril la vie des piétons et même de ces marchands qui fort souvent ne réagissent pas assez rapidement en cas d’accidents (on se rappelle l’accident qui s’est produit à Delmas 33 à proximité de la Télévision Nationale d’Haïti, le 16 Janvier 2012) mais ne peut ignorer le désir de ces petits commerçants qui au fond ne veulent que survivre.
Ainsi, il faut que l’Etat Haïtien procède à la création de nouveaux marchés aménagés à cet effet. Si les rues haïtiennes sont truffées des marchands c’est -à- cause d’un manque de locaux appropriés quoique certains marchands aiment s’asseoir en pleine rue afin disent t-il : « de gagner les premiѐres ventes ». L’échéance des dettes contractées auprès des institutions bancaires et caisses populaires représente une véritable épée de Damoclès dont ils aimeraient écarter la menace. Voilà pourquoi ils s’y installent afin d’honorer ces engagements qui les saignent à blanc !
Ø Enfin, la POHDH tient à attirer l’attention des Législateurs haïtiens qui à notre humble avis, devraient en collaboration avec les Ministѐres concernés, le secteur bancaire haïtien, la société civile, les syndicats ou mandataires des principaux marchands de l’informels, élaborer une ou des loi(s) qui régulerait de maniѐre équitable et efficace les emprunts accordés aux commerçants et commerçantes et prévoir des provisions légales sur les démarches qui pourraient favoriser l’inclusion des marchands de l’informel dans le secteur commercial formel moyennant une procédure légale adaptée .
Car il ne suffit pas d’édicter des lois en la matiѐre, il faut avant tout s’assurer de leurs applications puisque les lois qui régissent le secteur commercial en Haïti sont en grande partie désuètes et peu effectives.
Port-au-Prince, 10 Juin 2013
Antonal MORTIMÉ
Secrétaire Exécutif
http://pohdh.org      
 



2 commentaires:

  1. Comment je peux avoir cet document

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